Breaking bad (1/4) : La Crise

Publié le par fredastair

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       Comment Walter H. White, modeste prof de chimie d'Albuquerque et ancien prix Nobel de Physique (fictif), a-t-il pu se retrouver en slip au milieu du désert du Nouveau-Mexique, conduisant à toute berzingue une caravane volée – et avec deux cadavres à l'arrière –, un masque à gaz collé sur le nez, un flingue à la main et les flics à ses trousses ? C'est cette énigme, au terme d'un pré-générique pour le moins déroutant, que s'échineront à résoudre les cinquante-cinq minutes du pilote de Breaking Bad. Et c'est, partant, toute la problématique de cette fantastique série : quelles raisons peuvent amener un homme à péter les plombs, à ''mal tourner'' ? Jusqu'à quels retranchements doit-il être poussé pour éprouver ainsi sa capacité de survie ?

 

 

Cap'tain Cook

 

     Son créateur, Vince Gilligan, ex-scénariste de X-files (cherchez l'erreur), nous y livre sa vision très personnelle de la crise de la cinquantaine. Soit Walter White donc, bon mari et père de famille, bon bougre un peu falot, un peu raté (il a loupé une brillante carrière de chercheur et doit travailler à mi-temps dans un car wash pour joindre les deux bouts), qui apprend du jour au lendemain qu'il est affecté d'un cancer des poumons en phase avancée. Aucune chance d'en réchapper, son espérance de vie est brusquement réduite à un ou deux ans, et ses misérables économies ne suffiront pas à subvenir aux besoins de ses proches. Inspiré par les récits de son beau-frère, agent de la Brigade des Stups, Walter trouve alors un moyen radical de payer ses factures et de pallier à son ''absence'' : fabriquer (« cook ») et dealer de la méthamphétamine, drogue dure très prisée au sud des Etats-Unis, avec l'aide de Jesse Pinkman, junkie un brin minable qui a jadis écumé ses salles de classe. Son perfectionnisme et son talent naturel accouchent bientôt du produit le plus pur de la région... Modèle d'exposition et de concision, le premier épisode de Breaking bad érige ainsi la parfaite petite famille telle que se la représente l'american dream : une femme aimante sur le point d'accoucher, un premier fils handicapé mais vaillant, une vie paisible, une voiture, une maison en banlieue, des brunchs réguliers chez la belle-sœur... Mais à peine a-t-on fait la connaissance de la tribu White que celle-ci est dynamitée de l'intérieur, sans faire de bruit : c'est une bombe à retardement qui s'enclenche, dans le non-dit. Car, bien entendu, Walter ne révèle rien à ses proches de son cancer ni (encore moins) de son commerce illicite. Dans un premier temps en tout cas.


 

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White and black

 

     Sans être exempt de défauts, Breaking bad se démarque déjà par son mélange singulier d'ironie grinçante et de gravité existentielle, traçant son chemin avec des ficelles un peu grossières mais qui ne demandent qu'à s'affiner. C'est que Vince Gilligan, en bon spécialiste de substances addictives, a compris qu'une accroche réussie ne suffisait pas : le plus ardu est de conserver son public derrière. Dont acte. Enquillant d'abord les rebondissements à une vitesse invraisemblable (les deux premiers épisodes, infernaux), le showrunner s'amuse ensuite à ralentir considérablement la cadence, jouant d'un tempo paradoxal pour mieux se concentrer sur sa pièce centrale : Walter White, cas désaxé et passionnant, dont il se plaît à titiller les limites morales. Voilà que la saison 1 de Breaking bad se mue en un huis-clos psychologique particulièrement long et éprouvant, étendu sur plusieurs épisodes. L'anti-héros Walter, prisonnier de logiques contradictoires (faire le mal pour ''la bonne cause'', tuer pour ne pas être tué), y est confronté à de premiers dilemmes cornéliens et autres problèmes insolubles (notamment parmi les plus pragmatiques : comment faire disparaître un cadavre, comment occire un homme dans une cave ?). Jouet de l'expérience sadique du laborantin Gilligan, le cobaye Walter va devoir faire des choix, mesurer les conséquences de ses actes et prendre des décisions difficiles – moteurs sériels par excellence.

 

       Au fil du face-à-face entre le prof et sa future victime (qui révèle progressivement son humanité, histoire de corser les choses), éclate la qualité la plus enthousiasmante de la série, une qualité qui ne cessera de se confirmer par la suite : son approche extrêmement fouillée (et pessimiste) de la nature humaine. Une vision sans ambages, parfaitement relayée par la performance quatre étoiles de Bryan Cranston. Le comédien, plutôt reconnu pour sa verve comique (Malcolm, How I met your mother), y est incroyable de noirceur, de nuance et de profondeur, chaque épisode dévoilant une nouvelle facette de son personnage. Un personnage que Vince Gilligan n'hésite pas à nous montrer dans le plus simple appareil (il commence l'épisode 1 en slip et le termine à poil) ou dans les situations les plus atroces (les excès gore de l'épisode 3), pour mieux le mettre à nu. « Walt, is that you ? », murmure sa femme Skyler à la fin du pilote, lors d'une scène de sexe étonnamment décomplexée pour une série américaine de cet acabit. Meurtre, maladie, délit... En étant entraîné dans ses extrêmes, l'être humain en sort vainqueur et reforgé, puisant en lui des forces insoupçonnables et toujours renouvelées... au risque de devenir méconnaissable. Ou de scinder son identité en deux entités : l'une, diurne et sociale (Walter White) ; l'autre, obscure et interlope (le pseudonyme Heisenberg, du nom d'un physicien allemand qui travailla pour le régime nazi, ça ne s'invente pas). Face à ce monstre de charisme et de complexité, celle qui tire le mieux son épingle du jeu reste encore Anna Gunn, délicieuse en Mme White compatissante : loin de jouer les potiches, elle s'affirme comme le véritable socle de cette première saison, son cœur secret et douloureux.


 

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Tuco toqué

 

        Il fallait bien cette humanité, poignante à ses heures, pour contrebalancer les péchés mignons du script, soit un sacré lot d'approximations (plusieurs rôles secondaires taillés au burin, notamment le flic beauf Hank) et d'excentricités graphiques. Symbole de ce surplus de matière grasse, l'exubérant personnage de Tuco Salamanca (le comédien Raymond Cruz, cabotin), dealer latino et psychopate comme le cinéma n'avait plus osé en représenter depuis la fin des années 80, borderline et fonce-dé, sniffant sa came sur la lame de son énorme couteau de chasse. Négatif absolu de Walter, Tuco est aussi l'exacerbation de sa face sombre, de l'univers malade dans lequel il a accepté de plonger : il est la passerelle nécessaire entre Walter et Heisenberg. Sous son impulsion, l'anti-héros accomplit sa mutation, troque sa frimousse de Ned Flanders contre le crâne rasé très badass du cancéreux, assume enfin son statut de baron de la drogue (avec sa touche personnelle, le blue cristal). Quitte à en passer par l'intimidation, la ruse ou la violence, comme le démontrent les deux épisodes conclusifs de la saison, de haute volée (en particulier le 1X06 Crazy Handful or Nothin', dément). Tout s'accélère, l'intrigue grimpe en tension, le spectateur s'implique totalement, curieux de connaître l'issue de toute cette affaire – rythmée, entre autres, par les séances de chimio de Walt et les deals réguliers avec Tuco, qui menacent continuellement de ''mal tourner''.


 

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Drogue dure

 

      Pour son premier tour de piste et rail de coke, Breaking bad affirme des qualités non négligeables : un ton (cruel, sans pitié), un humour (noir, saignant), une écriture (affûtée, inspirée), un rythme (bizarre et entraînant, tout en contretemps), une mise en scène (qui brille davantage par éclats occasionnels, le reste demeurant efficace mais passe-partout). La série remplit son contrat de ''drogue dure'' piquante et addictive, mais il lui manque encore un petit quelque chose – une ampleur ? un grain de folie ? – pour en faire un ''grand-œuvre'', pour rendre chacun de ses épisodes vraiment emballants et mémorables. Des ingrédients que la saison 2 ne tardera pas à ajouter à sa recette.



tambour-copie-1     Breaking bad, saison 1   ***

 

     crée par Vince Gilligan

     avec Bryan Cranston, Anna Gunn, Aaron Paul, RJ Mitte, Dean Norris, Betsy Brandt, Raymond Cruz,  Maximino Arciniega, Steven Michael Quezada...

 

      Etats-Unis

      2008

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M
Rrrooo merde, le con quand même. Je t'autorise à virer mon commentaire si tu veux éviter à tes lecteurs mon misérable spoiler... La scène dans la caravane (toujours dans la saison 3) est également<br /> l'un des pics de tension les plus mémorables de la série (avec la fin de la saison 4 aussi).
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F
<br /> <br /> Ben non, je vais pas virer ton commentaire, parce que je l'aime bien. Mais disons qu'on va se contenter de parler par allusions maintenant, ça marche mieux  ;)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le huis-clos dans la caravane (saison 3 en effet) fait partie de mes moments préférés de la série. On est littéralement agrippé à son fauteuil/siège/oreiller. Effet sériel classique, mais les<br /> scénarii sont du boulot d'orfèvre. C'est aussi un moment charnière de toute la série, comme va brillamment le montrer ma géniale analyse dans deux semaines (tease tease ^^).<br /> <br /> <br /> Côté saison 1, pour recentrer le sujet (non mais alors), la fin de l'épisode 6 avec Walt qui débarque chez Tuco avec son "faux" cristal (chuuut) pour récupérer son fric, c'est aussi très fort.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Certainement l'une des meilleures séries de ces dernières années!<br /> Bryan Cranston est juste fabuleux dans son interpretation illustrée de la crise de la cinquantaine. Sa santé ne l'aide pas mais la liberté devient sans limites pour ce néo Ned Flanders. ( Bravo<br /> pour la comparaison j'aime beaucoup).<br /> <br /> Il faut également souligner que la série ne faiblit pas jusque là et que les réalisateurs ont dejà annoncé sa fin en 5 saisons si mes souvenirs sont bons. Si en plus ils ont l'intelligence de<br /> l'arrêter à temps qui dit mieux?!!!<br /> Ames sensibles et refoulés du second degré s'abstenir!
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F
<br /> <br /> Je dois avouer que j'ai piqué la comparaison avec Flanders à un journaliste des Inrocks, si ma mémoire est bonne :) Avec l'image, ça devient carrément évident !<br /> <br /> <br /> Sinon, on reste d'accord sur l'appréciation de la série. Tous les showrunners n'ont pas eu la modestie de s'arrêter à temps (voir les fins pénibles de "House" ou de "Nip/tuck" par exemple). Si<br /> l'arrêt au bout de la saison 5 se confirme, et partie comme elle est partie, "BB" a de bonnes chances de se terminer sur un bilan quasi-parfait (même si, pour ma part, je trouve que certaines de<br /> ses qualités faiblissent un peu - un tout petit peu hein - en saison 4).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En tout cas merci de ton passage !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Ah beh quand même, enfin ! Évidemment, d'accord sur tout et tout et tout et tout encore. La série prendra une vraie ampleur à partir de la saison 2, c'est vrai que la 1 est un coup d'essai très<br /> réussi. Et la logique noire de Walter, entraîné dans un engrenage toujours plus infernal, va prendre un essor vraiment affolant, vraiment monstrueux (empoisonner un gamin par calcul, par<br /> opportunisme, faut le faire quand même).<br /> J'attends surtout la confrontation Hank/Walt qui devrait, dans l'ordre des choses, se tailler la part du lion dans la saison 5.<br /> Du coup tu me fais saliver (monsieur tease) car j'ai très envie de lire la suite de ton analyse des autres saisons. Un conseil : si tu dis du mal de la scène de la fusillade dans la saison 3, on<br /> est plus copain.
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F
<br /> <br /> Content que ça te plaise ! En passant, mine de rien, tu viens de faire un gros gros SPOIL sans avertissement, que je voulais justement éviter dans ma critique de la saison 4 ! Je souhaite que<br /> ceux qui découvrent la série aient le temps de passer leur chemin avant de tomber dessus ^^<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ton analyse, que j'ai relue récemment, m'avait bien plue aussi et il se pourrait que je la cite un de ces jours dans mes prochains articles. Oui, je tease, je re-tease et je sur-tease, mais c'est<br /> comme ça qu'on est lu !!  ;)<br /> <br /> <br /> Et t'inquiète, je ne blasphémerai pas sur cette fameuse fusillade, un des nombreux pics de tension de la saison 3 - sans doute la meilleure pour l'instant, en grosse compèt avec la seconde.<br /> <br /> <br /> <br />